À CAUSE DE LA GUERRE |
les hommes de vingt ans n'aiment plus les bateaux |
ni les horizons ni la mer |
ni les mots étonnants qui fleurissaient en rêves
de voyage |
autrefois |
à cette époque où l'océan, quelle
que soit l'heure, était bleu |
sillonné de corvettes et de galères |
Océan terrible et doux, ouvert aux aventures des hommes |
|
Adolescence cristallisée, jeunesse impérissable |
tout cela s'effrite |
Les mots eux-mêmes qui savaient dessiner sur la nuit |
des paysages incomparables |
Les mots, peu à peu, se sont laisser défigurer |
À cause de la guerre |
|
Les bateaux sont devenus l'un après l'autre des naufrages |
Cependant, ils sont demeurés la quille droite, |
éventrant les eaux sans un instant faillir |
et la pipe est restée fichée droite |
dans la gueule de l'homme de barre |
et tous les passagers, forts de leur vingt ans |
de leur arrogance et de leur candeur |
Ignorant la route, résignés et joyeux |
Morts d'avance |
À cause de la guerre |
qui souffle les murailles |
et qui, la nuit, arrache aux pierres elles-mêmes |
des hurlements préhistoriques |
les hommes de vingt ans, chimpanzés terrifiés |
maladroits sous l'uniforme |
ont brusquement deux mille ans de trop |
À CAUSE DE LA GUERRE |